Imerissoq, village abandonné
Il est difficile de trouver l'île d'Imerissoq sur une carte. Aucun endroit du Groenland n'est aussi éloigné du continent. Cet ancien village de pêcheurs a été abandonné dans les années soixante en raison de mesures politiques et économiques.
Ce dimanche dix juin, j’y arrive à la voile, l’eau est calme et le ciel cristallin. C’est uniquement de mai à septembre que l’on peut naviguer dans la baie de Disko, le reste de l’année la mer se couvre de banquise. S’il est un lieu commun de dire que la nature est hostile, on imagine qu’ici le « hors-saison » doit être rude.
La première maison que je vois est franchement inclinée, un peu comme dans un conte d’enfants, dans lequel les objets sont déformés. La neige a presque entièrement fondu, mais l’herbe reste de la paille sous mes pieds. Certaines maisons sont assez proches alors que d’autres sont au contraire très espacées.
Les teintes passées des maisons feraient pâlir d’envie les éditeurs de peintures décoratives d’aujourd’hui. La couleur des maisons désignait leur destination, par exemple, jaune pour le médical ou rouge pour les bâtiments commerciaux.
J’entre avec indiscrétion dans une chambre, dans un salon par la porte ou par un trou dans le mur et j’imagine cette intimité depuis longtemps disparue.
Un bateau, un séchoir à poissons, des bouteilles, des boites de conserves, çà et là sont les vestiges de cette vie déplacée. Les croix blanches du cimetière résistent, plantées sur les reliefs des tombes. Ici, six pieds sous terre n’existent pas en raison du permafrost.
Je repense, à mon enfance en Corrèze chez ma Grand-mère. Nous allions nous promener avec ma soeur, mon frère, les enfants du village et notre chien dans les bois et champs environnants. Un lieu mystérieux nous impressionnait et nous attirait toujours: un cimetière abandonné. Le lierre avait tout envahi, mais nous retrouvions quelques pierres avec des dates, parfois mêmes de petites plaques photographiques d’enfants qui ne manquaient pas de nous émouvoir. Il a été depuis recouvert par une usine.
Il serait bien étonnant qu’une usine recouvre Imerissoq. Dans quelques années ? Non vraiment, je n’y crois pas. La mer ?
Axel et Jakob Sandgreen, pêcheurs à Imerissoq en 1934. Tous mes remerciements à Anja Reimer du Musée d'Illulisat, qui m'a transmis ces deux photos de son grand-père Jakob Sangreen (à droite) à vingt ans.